Gossip Girl, Le temps de l’innocence

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Gossip Girl (2007-2012): La vie de la jeunesse dorée des élèves de deux écoles privées new-yorkaises, vue à travers les yeux ironiques d’une mystérieuse « bloggeuse » surnommée Gossip Girl. Entre amour et amitié, chacun tente de tirer son épingle du jeu, mais rien n’est jamais simple derrière des apparences parfaites…

Chroniques: De nombreuses séries aiment citer des oeuvres littéraires dans les introductions ou les conclusions de leurs épisodes pour apporter une petite morale, c’est par exemple le cas des Frères Scott ou de Greys’ Anatomy. Mais dans Gossip Girl les références et les parallèles avec la littérature des XIXe et XXe siècle vont beaucoup plus loin.

En effet, j’ai revu la totalité de la série cet été et ce qui m’a frappé c’est la dimension littéraire très forte et ouvertement assumée. Les mises en abîmes sont très présentes durant des épisodes ou des arcs narratifs entiers. Les scenaristes se positionnent dans la lignée de la mythologie et des contes de fées (Cendrillon, la Belle et la bête).

Mais c’est du côté des romans d’Edith Wharton que le parallélisme est le plus marqué. La série partage avec le roman des codes cruels et difficilement compréhensibles pour un personnage extérieur de l’élite new-yorkaise. Tout tourne autour de quelques familles puissantes avec un système de préséance subtile. Les scénaristes poussent le parallèle jusqu’à faire jouer la pièce aux lycéens lors de leur année de terminale lors de la saison 2.  « Before Gossip Girl there was Edith Wharton. And how little has changed. The same society snobs still reigned. Only in corsets and horse-drawn carriages. »

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Blair et Dan dans la représentation de L’âge de l’innocence

Chez les heureux du monde

Plus généralement, de nombreux les romans traitant de sociétés élitistes et décadantes sont cités et réinterprétés. Ainsi, Blair et Chuck qui complotent en permanence et orchestrent des humiliations publiques n’ont rien à envier à la marquise de Merteuil et au vicomte de Valmont des Liaisons dangereuses. Ils se livrent également à des jeux de rôles littéraires de plus ou moins bon goût.

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Blair en Anna Karénine sexy

Les références littéraires, présentent également une dimension plus psychologique et  crépusculaire lorsqu’elles font référence au blues ressenti par ces jeunes riches qui souffrent de leur destin tout tracé (oui, les pauvres!) notamment Nate et Serena qui rappellent les personnages de Francis Scott Fitgerald (Les heureux, les damnés et Gatsby, le magnifique) ou L’attrape-coeur de Salinger.

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L’écriture comme arme ultime?

Face à un monde si fermé, l’écriture est finalement la seule arme pour les analyser voire les détruire et c’est ce qu’a bien compris Gossip Girl avec ses posts provocateurs. En effet, Gossip Girl ne se contente pas de relayer des photos ou des informations compromettantes elle analyse ce petit monde avec acidité. Certains personnages comme Vanessa Adams ou Dan Humphrey portent également un regard extérieur et critique sur ce petit monde et le transforme en oeuvres artistiques (documentaires pour Vanessa, article et nouvelles pour Dan).  « Humphertising » d’après le personnage Dan Humphrey devient un néologisme pour le fait de vouloir analyser et interpréter chaque comportement. Si écrire sur eux égratigne le mythe, on peut également se demander si ce n’est pas finalement le cadeau ultime.

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Chuck en pleine crise d’humilité

Xo Xo,  Gossip Girl

The Cry – Helen Fitzgerald

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Résumé de l’éditeur: Joanna et Alistair, couple sans histoires, s’envolent pour l’Australie avec leur bébé de neuf semaines. Entre larmes et crises de l’enfant, le voyage est éprouvant. Peu après leur arrivée, ils découvrent que leur enfant a perdu la vie. Les deux parents prennent une décision folle.

Chronique:  Si nous sommes témoins du mensonge originel, Helen Fitzgerald nous réserve de nombreuses révélations sur le huis-clos de ce couple au sein duquel les rapports de pouvoir sont décortiqués ce qui donne lieu à domestic thriller aux thématiques contemporaines. En effet, si Joanna est dans un état d’épuisement avancé lié au voyage et au fait qu’elle s’occupe quasiment seule de son enfant, Alistair a une carrière politique à sauver.

Le procès de la maternité

A l’image de Gone Girl de Gillian Flynn, cette affaire va faire éclater au grand jour les secrets et les relations familiales autour du couple. Tous les détails qui pourraient paraître anodin prennent des proportions considérables dans le cadre d’une disparition d’enfant. Le roman montre également la médiatisation de cette affaire et le jugement moral permanent qu’elle entraîne principalement à l’égard de Joanna. Le phénomène des enquêteurs amateurs qui se lancent dans des investigations poussées, créent des sites internet et prennent allègrement partie est également bien illustré.

Helen Fitzgerald réussit son puzzle chronologique composé de différents points de vue  et du récit du procès ainsi que sa description d’une Australie peu hospitalière.

Suite à ma lecture, j’ai regardé l’adaptation de la BBC en série de 4 épisodes. L’actrice qui interprète Joanna (Jenna Coleman) correspond très bien au personnage. Les fausses pistes sont encore plus accentuées et le suspense est total pour les spectateurs n’ayant pas lu le livre.

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Je remercie les éditions Les Arènes pour cet envoi!

Les jours infinis – Claire Fuller

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Résumé de l’éditeur: «  Il n’a pas l’air d’un menteur  », pense Peggy Hillcoat en regardant la photo de son père. Elle a été prise l’été de ses huit ans. Il avait transformé la cave en abri antiatomique et discutait de fin du monde avec ses amis survivalistes. Sa mère retenue au loin, ils s’étaient amusés à camper dans le jardin, avant qu’il ne l’emmène en voyage dans une forêt lointaine. Les vacances s’étaient muées en perpétuité quand il lui avait annoncé que le reste du monde avait disparu.
En 1985, Peggy est de retour à la maison, après neuf ans d’absence. Comment a-t-elle survécu mais surtout comment est-elle revenue ?

Chronique: J’ai lu ce roman pendant le confinement, il a particulièrement raisonné avec l’actualité puisqu’il met en scène un père collapsologue qui emmène sa fille en « confinement » loin de la civilisation.  Mais c’est avant tout un roman psychologique.

Une adolescence hors du monde

L’histoire est racontée du point de vue de Peggy et enchaine les allers-retours entre le présent et le passé. Dans le passé, Claire Fuller excelle à instaurer un malaise palpable au sein de cette famille qui semble mal assortie. La mère, plus âgée que le père voyage sans cesse pour ses concerts et ne semble pas très proche de sa fille. Le père est sous la coupe d’un survivaliste prétentieux dont il cherche sans cesse l’approbation. Le père et la fille vont ensuite s’embarquer dans un isolement total qui dépasse l’entendement. L’adolescence avec ses premières fois et sa rébellion envers les parents prend ici une toute autre dimension. Le roman développe également l’aspect répétitif et la dureté de cette vie en pleine nature.

J’aurais aimé que davantage de pages soient consacrées à la partie contemporaine qui suit le retour à la civilisation de Peggy. La fin m’a laissée sonnée par ses révélations et aurait mérité quelques pages d’analyse.

Martin Eden – Jack London

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Résumé: Martin Eden, un marin de vingt ans issu des quartiers pauvres d’Oakland, décide de se cultiver pour faire la conquête d’une jeune bourgeoise. Il se met à écrire…

Chronique: J’ai souvent vu passé des chroniques sur Martin Eden présenté comme le roman le plus autobiographique de Jack London. Son adaptation en film en 2019 a relancé mon intérêt et enfin la chronique que Clara Dupont-Monod lui a consacré dans Par Jupiter! a fini de me convaincre de me lancer dans ce classique publié en 1909.

Un récit d’apprentissage

Martin Eden c’est d’abord une force de la nature qui impressionne Ruth lors de leur première rencontre. C’est également un jeune homme d’une grande détermination, dès sa rencontre avec la jeune femme il décide de parfaire son éducation (lui qui n’a pas terminer l’équivalent de l’école primaire) et dans la foulée d’écrire des nouvelles pour gagner sa vie. Avec une candeur désarmante, Martin calcule les gains potentiels par mots écrits et se met à l’ouvrage comme un forcené ne se réservant que 5 heures de sommeil par nuit. Sa vie ressemble alors à celle de nombreux héros pauvres de la littérature du XIXe siècle avec des revenus réduits au minimum. Il m’a fait pensé notamment à Rodia dans Crime et châtiment. La description de ses journées d’écritures, réécritures et envois aux éditeurs sans cesse renvoyés est répétitive et un peu fastidieuse à lire mais c’est clairement voulu par Jack London.

Un archétype inoubliable

Mais Martin Eden n’est pas seulement un jeune homme qui aspire à une carrière littéraire. Au fur et à mesure de sa formation intellectuelle, il acquiert des opinions philosophiques très marquées prônant l’individualisme et se rapprochant de la pensée de Nietzsche et d’une forme de Drawinisme. Il est rapidement convaincu d’être lui-même (avec l’appui du narrateur) parmi une caste supérieure. A l’inverse, son entourage que ce soit la bourgeoisie représentée par l’entourage de Ruth ou le peuple à travers ses beaux-frères représentent une forme de petitesse d’esprit incapable de noblesse. Cela peut paraître extrême ou mégalomane mais Martin appliquera cette philosophie de vie qui fait de lui un personnage hors du commun.

A la suite de ma lecture, j’ai visionné l’adaptation de 2019. Pietro Marcello transpose l’intrigue à Naples dans une période indéterminée qui pourrait être les années 1930.  Quelques dialogues avec Ruth sont en français pour illustrer l’érudition du personnage. L’acteur Luca Marinelli est parfait dans le rôle de Martin Eden. Il ne s’agit pas d’une adaptation classique mais d’une oeuvre assez expérimentale qui intègre des passages documentaires notamment pour décrire le quotidien du peuple (boutiquiers, terrasse, enfants jouant dans les rues…etc). J’ai beaucoup apprécié cette adaptation.

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Au final, Martin Eden est un personnage fascinant et attachant que je regrette d’avoir découvert aussi tardivement.

C’est pour ton bien – Patrick Delperdange

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Résumé de l’éditeur: Camille avait tout pour être heureuse. Une intrigue à résoudre en deux nuits blanches. Depuis quelque temps, Pierre est nerveux. De plus en plus agressif. Les discussions s’enveniment très vite, et se terminent mal. Camille ne reconnaît plus l’homme qu’elle vient d’épouser. Serait-il capable de franchir les limites de l’irréparable ? De devenir une bête sauvage ? Un jour Camille disparaît. 

Chronique: Comme dans beaucoup de cas de violence conjugale, la situation dégénére au moment de la grossesse de Camille. Son compagnon, antipathique, stressé par son travail et peu présent se montre violent et abusif.

Une photographie de la société

La disparition de Camille est un catalyser qui questionne son entourage. Ce roman est aussi un drame de l’ultra moderne solitude: sur qui peut compter Camille en cas problème? Qui est réellement informé de ses problèmes conjugaux?  Son amie Maëlle? Son frère en froid avec elle? Au bout de combien de jours sa disparition sera-elle prise au sérieux? Quelle est la part de vérité dans le témoignage de Pierre? Le narrateur ne nous offre que très peu d’informations sur les personnages en particulier Pierre ce qui rend difficile toute hypothèse de la part du lecteur. On est ainsi dans la vaine du domestic thriller qui nous rappelle que l’on peut ignorer beaucoup de choses que le huis-clos d’un couple.

Patrick Delperdange excelle dans l’analyse sociale et psychologique de cette disparition et fait vivre une galerie de personnages symbolique d’Antoine le SDF en quête de rédemption à l’enquêtrice maghrébine efficace. C’est très agréable de voir la littérature francophone se saisir de ces thèmes et les traiter avec justesse et sobriété.

C’est aussi un roman sur le poids du passé, les rancœurs et une certaine possibilité de resilience.

Je remercie les Editions Les Arènes pour cet envoi! 

Le Mars Club – Rachel Kushner

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Résumé: Romy Hall, 29 ans, vient d’être transférée à la prison pour femmes de Stanville, en Californie. Cette ancienne stripteaseuse doit y purger 2 peines consécutives de réclusion à perpétuité, plus six ans, pour avoir tué l’homme qui la harcelait. Dans son malheur, elle se raccroche à une certitude : son fils de 7 ans, Jackson, est en sécurité avec sa mère. Jusqu’au jour où l’administration pénitentiaire lui remet un courrier qui fait tout basculer.

Chronique: Rachel Kushner signe un roman très visuel et extrêmement fort qui commence par une scène de transfert de prison épique et cinématographique. La peine à perpétuité que purge la principale narratrice et ses souvenirs souvent douloureux donnent d’entrée le ton: dramatique et sans pathos. Ainsi, elle réussit là où la série Orange is the New Black m’avait mise mal à l’aise par son mélange de comédie et d’éléments plus trash. Romy est une narratrice vive et intelligente qui ne s’épargne pas.

Un portrait des white-trash?

Romy semble être relativement marginale. Elle entretient une relation conflictuelle avec sa mère, elle a des moyens très limités pour faire vivre son fils et  travaille au Mars Club un club de strip-tease miteux. Elle est dans un position fragile bien qu’elle soit dotée d’un certain potentiel intellectuel. Elle une proie facile pour le système judiciaire états-unien. La manière dont elle décrit son avocat commis d’office est à la fois comique et révoltante. Néanmoins, l’auteure nous montre à quel point elle ne fait pas partie des plus marginaux.

Le San Francisco 1980 et 1990 est décrit à travers ses quartiers pauvres, point de ventes des dealers et club de strip-tease crasseux. Pourtant même ces quartiers sont sujets à la gentrification regardée avec mépris par Romy.

Rachel Kushner excelle dans sa démarche de raconter le  point de vue des exclus et des marginaux du rêve américain. En parallèle d’autres histoires plus mineures sont développées, elles viennent sans doute illustrer des thèmes chers à l’auteure (l’échec, le retour à la nature) mais peu approfondis qui restent marginaux par rapport à l’histoire de Romy et ne sont pas une grande réussite.

« En fin de compte, elle était vraiment malheureuse, l’actrice dont je porte le prénom. Son fils avait escaladé un portail, s’était perforé une artère fémorale et il était mort. Il avait quatorze ans. Après quoi elle n’avait pas arrêté de boire, jusqu’à en mourir à quarante-trois ans. J’ai vingt neuf ans. quatorze années c’est une éternité si c’est ce que je dois vivre. (…) Je n’ai pas l’intention de vivre longtemps. Ni brièvement d’ailleurs. Je n’ai aucun projet. Le problème c’est qu’on continue d’exister qu’on en ait l’intention ou pas, jusqu’à ce qu’on cesse d’exister, et alors, les projets ne riment plus à rien. Mais ne pas avoir de projets ne signifie pas que je n’ai pas de regrets. Si seulement je n’avait pas travaillé au Mars Club. Si seulement je n’avais pas rencontré Kennedy le pervers. Si seulement Kennedy le pervers n’avait pas décidé de me traquer. Mais il a décidé de le faire et s’y est appliqué implacablement. Si rien de tout cela n’était arrivé, je ne serais pas dans la bus, en route pour une vie dans un trou en béton. »

Simone Veil L’aube à Birkenau

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Résumé de l’éditeur: À la fin des années 1990, David Teboul, un jeune cinéaste, propose à Simone Veil de lui consacrer un documentaire. C’est le point de départ d’une amitié qui va durer jusqu’à sa mort. Au fil des années, il enregistre plus de quarante heures d’entretiens. L’intimité entre Simone Veil et David Teboul est telle que c’est à lui que les enfants de Simone Veil confient la cérémonie du Panthéon.

Chronique: J’aime beaucoup la personnalité de Simone Veil et son parcours force le respect. Dans ce livre-témoignage, issu de nombreuses années d’entretiens avec David Teboul, Simone Veil nous confie une ultime transmission de son vécu de la déportation. Comme à son habitude elle dresse un récit rigoureux avec une analyse précise et sans illusion.

Simone Veil développe son enfance à Nice, les prémices des lois antisémites puis le basculement vers l’horreur. Elle nous livre ainsi une description très physique des premières heures dans les camps puis de la (sur)vie quotidienne. Le logique de groupes  et leur solidarité (famille, connaissances) sont finement analysés. J’ai été particulièrement émue par la description que fait Simone de sa mère tout au long de sa vie et durant la déportation. Les conditions de libération des camps (mise en quarantaine, difficulté d’alimentation) éclairent un aspect moins connu des camps.

Les échanges avec sa grande soeur Denise résistante, sa grande amie Marceline Loriden-Ivens et Paul un déporté avec qui elle a noué des liens d’amitié permettent de croiser les regard sur différents vécus de la déportation.

« Au camp les gens étaient capables de commettre des choses tout à fait monstrueuses les uns vis-à-vis des autres, par exemple de se voler de la soupe, ce qui, dans nos conditions de survie équivalait à un crime. mais une grande solidarité régnait aussi, au moins dans les petits groupes. Je n’emploierais pas le terme d’organisation collective, parce que le mot organisation collective, parce que le mot « organisation », dans le contexte du camp, résonne de façon trop particulière. Mais des liens étroits se nouaient, des liens extraordinaires qui ont permis aux gens de conserver de conserver un certain sens moral et d’affronter les pires situations. » 

« Ensuite, toujours vêtues, nous sommes passés devant une sorte de guichet. On nous a tatoué un numéro sur le bras. En un instant nous avons compris que nous étions hors du monde. Ce n’était pas une prison ordinaire. cette mise en scène signifiait notre exclusion. L’effet que cela produisait sur nous était parfaitement calculé. »

Je remercie les éditions Les Arènes pour cet envoi.

Les testaments – Margaret Atwood

Les testaments Margaret Atwood

Résumé de l’éditeur: 15 ans après les événements de La Servante écarlate, le régime théocratique de la République de Galaad a toujours la mainmise sur le pouvoir, mais des signes ne trompent pas : il est en train de pourrir de l’intérieur.
À cet instant crucial, les vies de 3 femmes radicalement différentes convergent, avec des conséquences potentiellement explosives. Deux d’entre elles ont grandi de part et d’autre de la frontière : l’une à Galaad, comme la fille privilégiée d’un Commandant de haut rang, et l’autre au Canada, où elle participe à des manifestations contre Galaad tout en suivant sur le petit écran les horreurs dont le régime se rend coupable. Aux voix de ces deux jeunes femmes appartenant à la première génération à avoir grandi sous cet ordre nouveau se mêle une troisième, celle d’un des bourreaux du régime, dont le pouvoir repose sur les secrets qu’elle a recueillis sans scrupules pour un usage impitoyable.

Chronique: J’ai adoré la première saison de la série La servante écarlate ce qui m’a mené à lire le roman que j’avais beaucoup aimé également. Je trouve que la série perd en qualité au fil des saisons et l’effet de sidération qu’avait provoqué chez moi la première saison décline au profit de rebondissements toujours plus spectaculaires. Lorsque j’ai appris qu’à l’âge de 79 ans, Margaret Atwood s’est attaqué à une suite qui se déroule 15 ans après La servante écarlate j’étais très enthousiaste et je n’ai pas été déçue!

La servante écarlate était un extrait de confessions d’une femme ordinaire prise dans la tourmente de ce nouveau régime. Cette suite se paye le luxe d’apporter plus de détails sur le régime: sa naissance, ses principaux acteurs ainsi que ses corruptions qui le rongent à travers une tante Lydia (très différente de la série). La situation politique dans les pays frontaliers de Galaad et l’organisation de Mayday sont également développés.

Un vrai page-turner

D’un point de vue narratif, c’est un vrai page-turner. Je me suis particulièrement attachée à Daisy jeune adolescente doté d’un fort caractère et d’une spontanéité bienvenue dans la contexte parfois lourd. Le parallèle entre l’éducation, le vocabulaire et les sentiments des deux jeunes filles sont très intéressants et touchants. Derrière une apparence sobre (un journal intime politique et les témoignages des deux jeunes filles), le roman se révèle plein de suspense et prend des allures de thriller et de roman d’espionnage. Il faut également saluer le travail de la traductrice, même si je ne suis pas d’accord avec tous ses choix notamment l’emploi de Galaad au lieu de Gilead auquel je m’étais habitué dans la série.

« Pour passer le temps, je me suis fait des reproches. Stupide, stupide, stupide: j’avais cru à tout ce bla-bla sur la vie, la liberté, la démocratie et les droits de la personne, que j’avais absorbé comme une éponge à la fac de droit. C’était des vérités éternelles que nous défendrions toujours . j’avais compté là-dessus, façon gri-gri magique. »

Eden – Monica Sabolo

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Résumé de l’éditeur: «Un esprit de la forêt. Voilà ce qu’elle avait vu. Elle le répéterait, encore et encore, à tous ceux qui l’interrogeaient, au père de Lucy, avec son pantalon froissé et sa chemise sale, à la police, aux habitants de la réserve, elle dirait toujours les mêmes mots, lèvres serrées, menton buté. Quand on lui demandait, avec douceur, puis d’une voix de plus en plus tendue, pressante, s’il ne s’agissait pas plutôt de Lucy – Lucy, quinze ans, blonde, un mètre soixante-cinq, short en jean, disparue depuis deux jours –, quand on lui demandait si elle n’avait pas vu Lucy, elle répondait en secouant la tête : « Non, non, c’était un esprit, l’esprit de la forêt. »»

Chronique: J’aime beaucoup l’oeuvre de Monica Sabolo notamment son précédent roman Summer, j’ai donc entamé cette rentrée littéraire avec son nouveau roman. Je l’imaginais nous proposer un roman un peu ésotérique sur une secte ou une société secrète mais Eden est un roman bien plus ambitieux et subtile que cela!

Un roman de métamorphose 

En effet, il s’agit d’un roman qui marque sans doute un tournant dans son oeuvre et qui traite de nombreux sujets d’actualité (violence faite aux femmes, discriminations..). Ce roman se déroule également dans un décor assez nouveau: une (ancienne) réserve qu’on devine en Amérique du Nord proche d’un forêt aux ressources convoitées. Monica Sabolo reste tout de même fidèle à son style poétique et à un de ses thèmes de prédilection: l’adolescence. L’intrigue est ainsi vécu à hauteur d’adolescentes en particulier de Nita décide d’enquêter sur ce qui est arrivé à sa camarade Lucy.

Pour cela elle va fréquenter des lieux qui lui paraissent sulfureux et surtout tenter de percer à jours les autres personnages. Le roman repose beaucoup sur la part de mystère et d’inconnu que l’on trouve en chacun d’entre nous et à plus forte raison chez les adolescents. La forêt elle-même changeante est la parfaite métaphore de ces mystères et changements intérieurs. Sa forme semble s’adapter à la personne qui la traverse.

J’ai beaucoup aimé ce roman que l’on peut lire avec le prisme de nos préoccupations actuelles (écologie, #MeToo) mais qui ne renonce jamais au style, à la poésie et à son ambition littéraire.

Mercy, Mary, Patty – Lola Lafon

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Résumé de l’éditeur: En février 1974, Patricia Hearst, petite-fille d’un célèbre magnat de la presse, est enlevée contre rançon par un groupuscule révolutionnaire dont elle ne tarde pas à épouser la cause, à la stupéfaction générale de l’establishment qui s’empresse de conclure au lavage de cerveau.
Professeure invitée pour un an dans une petite ville des Landes, l’Américaine Gene Neveva se voit chargée de rédiger un rapport pour l’avocat de Patricia Hearst, dont le procès doit bientôt s’ouvrir à San Francisco. Pour dépouiller le volumineux dossier qui lui a été confié, elle s’assure la collaboration d’une étudiante, la timide Violaine, qui pressent que Patricia n’est pas vraiment la victime manipulée que décrivent ses avocats…

Chronique: J’ai mis du temps avant de lire ce roman de la rentrée littéraire 2018, le sujet n’intéresse pourtant beaucoup. J’ai lu de long articles de presse sur ce faits divers passionnant et mystérieux. Lola Lafon aborde le sujet à travers deux personnages fictives: Gene Neveva chercheuse américaine conformiste et Violaine sa jeune élève américanophile.

La contrainte imposée à Violaine d’analyser les documents par ordre chronologique permet de prendre connaissance des enregistrements de Patricia Hearst et des réactions de la presse de l’époque.  Ils donnent lieu à des analyses de texte (pronom, verbe, temps employé…etc) très poussées. Cependant, le roman ne vise pas forcément à relater l’ensemble des évènement dans leur exhaustivité. Il souligne les contradictions des parents de Patricia, la bassesse de son fiancé ou encore la misogynie des mouvements d’extrême gauche. Plus généralement, le roman souligne les contradictions de la société américaine.

Ce qui est encore plus émouvant dans ce récit, c’est les portraits de Gene et Violaine,  2 femmes incomprises qui vivent un peu en marge de la société. Elles sont jugées pour leur mode de vie excentrique. Gene se tient toujours du point de vue des minorités dans ses études universitaires et ses prises de position. A travers, ces deux personnages on devine un hommage aux nombreuses femmes qui se sont opposé à la culture de leur société à toutes les époques.

« On s’est mises à hurler bien fait avec ma soeur, bien fait pour toi, connard, Tania a repris la plume, nos parents essayaient de nous calmer, on sautait sur le canapé, on était heureuses, bouleversées même, qu’elle le remette à sa place publiquement. Elle parlait pour nous. pour tout ce qu’on notait dans nos carnets et qu’on taisait, les petites humiliations des profs et les lâchetés de nos parents. Tania ne se laissait pas faire, elle.«